Nicole ROBINE
Centre d'Etude des Media Université de Bordeaux III

La France dispose de deux types d'études complémentaires:


L'enquete de l'INSEE n'est véritablement comparable qu'avec le sondage effectué par l'INSEE en 1967 avec le meme questionnaire sur un échantillon de 7.000 ménages. Les enquetes sur les partiques culturelles (1981 et 1988) ou sur les pratiques de loisir (INSEE 1987) constituent de véritables banques de données dont on peut extraire des sous-échantillons par régoin, profession, type d'habitat, type de lecture ou loisir pratiqué ou non pratiqué, genre de livre ou de presse utilisé ou refusé, etc. Ces données servent a des études plus approfondies ou qualitatives (BAHLOUL in POULAIN 1988).

La lecture et la télévision

D'apres l'enquete INSEE (1988) la lecture de livres subit la concurrence de la télévision. A tout niveau de diplome, la lecture de livres décroit entre 1967 et 1987-88. Ce n'est que parce que les plus diplomés, qui sont aussi les plus gros lecturs, sont devenus plus nombreux que la proportion de ceux qui lisent un livre par mois est restée stable, autour de 30%.

Une autre enquete de l'INSEE sur les budgets-temps (1986) révele qu'un adulte passe en moyenne 1 heure 44 minutes par jour devant l'écran de sa télévision, soit quatre fois plus que devant un écrit (27 minutes) et d'apres Patrice Cahart (1987) "probablement neuf ou dix fois plus de temps que devant un livre. Dix ans plus tot il n'y passait encore qu'l heure 22". Les six chaines de télévision proposent un choix entre 2000 films par an. Et la généralisation de la télévision par le cable permettra un choix encore plus grand en recevant les chaines étrangeres sur tout le territoire français. En 1988, 82,6% des Français agés de plus de 14 ans regardent la télévision tous les jours ou presque, les femmes (82,4%) a peine moins que les hommes (82,7%). L'age est plus discriminant. 91,6% des personnes agées de plus de 60 ans la regardent tous les jours contre 78% des jeunes de 14 a 24 ans. La proportion d'individus qui regardent la télévision tous les jours est sensiblement la meme selon la categorie de commune de résidence. Parmi les catégories socio-professionnelles, les cadres supérieurs sont les moins nombreux a regarder la télévision.

Alors qu'il existe des travaux sur l'appropriation des media et des nouvelles technologies (informatique, télématique...), les travaux sur la liaison entre les usagers et les usages des media et des nouvelles technologies mis en rapport avec la lecture font défaut (sauf a l'intérieur des bibliotheques. PASSERON et GRUNBACH 1985 et LE MAREC 1989).

La lecture et les autres activités dites culturelles

Par jour et en moyenne les Français consacrent 31 minutes a la conversation et au courrier, 17 minutes aux visites et réceptions, a 17 a la promenade, la peche ou la chasse, 11 aux jeux, 9 aux spectacles et sorties, a opposer aux 27 minutes pour la lecture (INSEE 1985-86 in PINGAUD 1989).

La lecture du journal quotidien.

Les chiffres de tirage et de diffusion des journaux quotidiens ont baissé tres régulierement en France depuis une vingtaine d'années. En 1967 (INSEE), 59,7% des Français de plus de 14 ans lisaient tous les jours ou presque un quotidien, ils sont 41,2% en 1988. La désaffection pour la presse quotidienne est la plus forte chez les jeunes de 14-24 ans, les cadres moyens et les employés et dans l'agglomération parisienne.

Cette tendance a la baisse risque de se poursuivre avec les progres dans la rapidité de l'information transmise par la radio et la télévision.

La presse quotidienne est plus présente chez les habitants des communes rurales que chez les autres Français. En 1982, 63% des ruraux et 74% des agriculteurs en prennent connaissance au moins un jour sur deux. Il s'agit essentiellement de la presse régionale. En 1987-88, 46,9% des habitants des communes rurales lisent un quotidien tous les jours ou presque contre 36% des Parisiens.

Les genres de livres lus par les adultes

La perception du genre d'un livre est fonction du niveau de diplome (corrélé au niveau de culture) et fluctuante selon les centres d'intéret de la personn interrogée. Les grilles d'exposition des genres de livre remises par l'enqueteur a l'enqueté pour qu'il indique les categories de livres qu'il lit correspondent a une logique de lettré et pas a une vision de la réalité de la réception de la lecture par les différentes categories socio-professionnelles de la population. L'enqueté qui affirme lire de "l'histoire", lit aussi bien un traité écrit par un historien qu'un roman sentimental a toile de fond pseudo-historique. La meme ambiguité se retrouve pour d'autres genres de lecture, par exemple pour "la médicine" ou "la sociologie". Toutes les enquetes sur les genres de livres lus sont faussées parce que les memes mots ne recouvrent pas les memes notions. Il ne faut pas oublier que la majorité des enquetés sur la lecture se soucient de donner a l'enqueteur et a eux-memes une bonne image de leur lecture. Ils s'auto-censurent et fournissent de leur lecture une image plus conforme aux normes culturelles transmises par l'école qu'a la réalité (sur les classements de genres légitimes, légitimés et illégitimes, voir PARMENTIER in POULAIN 1988).

D'autres genres répertoriés dans tous les questionnaires sur la lecture n'ont pas beaucoup de sens. Que signifie le roman classique "ou l'histoire vécue"? Certains livres relevent plus de la consultation que de la lecture: les dictionnaires, les encyclopédies, les manuels pratiques et autres livres de cuisine. Cette difficulté n'est pas propre aux enquetes et a la langue françaises, elle se retrouve (différemment) dans les enquetes étrangeres.

Quoi qu'il en soit, les sondages et enquetes fournissent des indications sur les genres lus et possédés.

GENRES DE LIVRES POSSEDES PRINCIPALEMENT, LUS LE PLUS SOUVENT
(sur 100 Français)

En possedent* En possedent
principalement
En lisent le
plus souvent
Dictionnaires ou encyclopédies

67,8

7,3

5,0

Romans autres que policiers ou espionnage

65,3

28,0

228,6

Ouvrages pratiques (cuisine, bricolage)

59,8

3,3

6,9

Histoire

50,2

6,1

9,6

Policiers ou espionnage

48,5

7,5

9,1

Littérature classique

47,0

9,1

6,8

Livres pour enfants

41,9

3,9

0,8

Bandes dessinées

40,6

3,3

5,4

Beaux livres autres que les livres d'art

39,1

1,7

1,4

Livres scientifiques, techniques, professionnels

37,5

4,9

7,4

Livres de poésie

34,9

0,5

1,7

Essais politiques, philosophiques, religieux

29,2

3,2

5,5

Livres d'art

28,7

1,3

1,4

Reportages d'actualité

28,3

1,5

3,9

Autres genres

4,8

1,6

3,2

* Total supérieur a 100 puisque'une meme personne peut posséder plusieurs types d'ouvrages.
Source: Pratiques Culturelles des Français, 1981, in Poulain 1988

Les romans sont lus, le plus souvent, par les femmes, les étudiants, les employés, les cadres supérieurs et moyens. Les gros commercants et industriels lisent des livres scientifiques et professionnels plus souvent que les autres catégories socioprofessionnelles.

L'enquete de l'INSEE 1987-88 se préoccupe des genres de livres possédés mais pas de leur lecture. Il indique seulement que 74,3% des gens agés de plus de 14 ans ne lisent pas de bandes dessinées. Le sondage de la SOFRES pour Le Monde et France-loisirs en 1988 sur les lectures en cours de 825 personnes signale que les livres en cours de lecture se répartissent ainsi:

Les attitudes et motivations

Leur étude ne prend un sens que si on les rattache aux différents types de projets de vie dans lesquels elles s'inscrivent. leur genese s'insere dans des systemes de valuer différents voire opposés selon l'appartenance de l'individu aux classes favorisées ou défavorisées. Les motivations et attitudes envers la lecture dépendent de sa valeur d'usage dans le groupe de référence de l'individu. La distribution statistique des réponses sur la distraction, l'évasion, la culture, etc. cache la réalité de la relation a la lecture plutot qu'elle ne la dévoile.

CONCLUSION: RESULTATS, BILANT ET PERSPECTIVES

Résultats

Les capacités de lecture de la population française dans son ensemble augmentent. Il y a croissance des diplomes entre 1962 et 1987. Le pourcentage des hommes de plus de 25 ans de niveau inférieur ou égal au Certificat d'Etudes Primaires a baissé de 50% a 40% a la faveur des niveaux qui lui sont supérieurs. L'évolution des femmes est encore plus rapide que celle des hommes. Le niveau intellectuel et le niveau culturel général montent.

L'illettrisme. Le recentrage des savoirs fondamentaux a conduit a la prise de conscience de l'illettrisme en 1984. Tous les ans l'armée décompte environ 10% de conscrits illettrés. L'enquete de 1986-87 sur l'ensemble de la population résidant en France signale que 6% des personnes nées en France sont ilettrées. D'apres le sondage de 1988, l'illettrisme touche 21,8% de la population agée de plus de 18 ans. L'analphabétisme a pratiquement disparu.

Le fossé crosissant des connaissances. Entre 1967 et 1982, chez les conscrits, le pourcentage des bacheliers a augmenté sans baisse de niveau (mesuré par les tests de l'armée). Les effectifs des titulaires du Brevet ou du Certificat d'Aptitude Professionnelle se sont fortement accrus avec une baisse notable des performances. Bref, l'écart se creuse entre les deux premiers paliers de la hiérarchie scolaire. Les chiffres dont on dipose pour la population nationale (hommes et femmes) concernent les diplomes mais pas les niveaux.

Les niveaux de lecture de livres et d'imprimés. Les disparités méthodologiques des diverses enquetes nationales sur les pratiques de lecture entrainent une confusion. Entre 1973 et 1981, le pourcentage de lecteurs ayant lu au moins un livre dans les 12 mois précédents l'enquete, est passé de 69,7% a 74%.

La structure sociale des lecteurs varie en fonction des genres de lectures. La presse quotidienne, dont les tirages ont baissé, rencontre proportionnellement plus de lecteurs dans les campagnes et les petites villes que dans les grandes villes. Les livres touchent de plus en plus toutes les catégories socio-professionnelles mais les plus forts lecteurs de livres restent les catégories sociales les plus favorisées, les plus diplomées, les plus informées, les plus urbanisées. La propension a la lecture est fort inégalement répartie. Les jeunes sont de plus en plus nombreux a avoir des contacts répétés avec la lecture de loisir. Rappelons que l'enseignement secondaire pour tous date de 1977.

La lecture et la presse. Entre 1967 et 1987-88, le seul type de lecture a s'etre développé serait la lecture des magazines et revues.

La lecture et les media. Dans la répartition des occupations des temps libres, la télévision occupe une place croissante chez les adultes et chez les jeunes. Les appropriations et les usages des media électroniques sont étudiés mais, a la connaissance de l'auteur de ce rapport, aucun rapprochement n'est effectué avec la répartition des lecteurs et les niveaux de lecture de livres. On sait que les nouvelles technologies plaisent a une partie de l'élite cultivée et rencontrent beaucoup d'adeptes dans les milieux ou les savoirs technologiques l'emportent sur la culture livresque classique. Ils plaisent aussi beaucoup aux jeunes et l'utilisation de l'ordinateur dans les situations de l'apprentissage de l'écrit est tres étudiée.

Les comportements culturels évoluent lentement et les pratiques de lecture sont probablement celles qui changent le moins vite. Une évolution significative ne peut etre saisie que dans le long terme. En France, cette évolution existe. Les pratiques de lecture se développent, mais elles évoluent moins vite que ne le laissaient espérer les efforts de démocratisation des biens et services culturels et de démocratisation scolaire.

Pour la plupart, les pratiques culturelles sont maintenant bien connues et analysées. D'importants travaux relevant de la sociologie de la littérature (R. ESCARPIT) ou de la psychologie sociale (P. BOURDIEU, J.Cl. PASSERON) avaient ouvert la voie. Les recherches sur la lecture sont devenues pluridisciplinaires, la lecture est davantage étudée dans son contexte inter-relationnel, reportée dans le champ social des usages culturels.

On connait mieux la genese des intérets ou du rejet de la lecture, on apprécie les influences, les dépendances et interférences, les gouts, etc. Toutes les catégories de lecteurs ou non-lecteurs, toutes les catégories de lectures, légitimes ou non, sont enfin prises en compte et étudiées.

Perspectives

De nombreux champs de recherche concernant "le plus ingénuement polymorphe des actes culturels" (J.C. PASSERON in Bibliotheques publiques... 1986) restent encore en friche, insuffisamment ou trop anciennement explorés. A titre d'exemple, on manque de rapprochements autres que statistiques, entre les diverses pratiques culturelles et les pratiques lectorales, entre les pratiques médiatiques ou technologiques et les pratiques de lecture; de travaux panoramiques neufs mettant en regard les connaissances, les compétences et savoirs-faire et la lecture; d'études sur la lecture par secteur professionnel, par appartenance idéologique (syndicale, confessionnelle, politique, systemes de valeurs); de travaux sur les déviances de lecure, sur le partage des lectures (supports, conversations, réminiscences culturelles) dans de petits groupes (copains, couples, foyers, familles). Des études sur les effets de la lecture, sur les livres-phares qui décident d'une vocation, d'une vie, d'une période de vie, des travaux psycho-socio-ethnographiques sur le lectorat d'un genre seraient les bienvenus. De nouvelles tranches sociologiques pourraient etre découpées dans la population. Des panels de lecteurs ou de catégories sociales interrogés de 5 ans en 5 ans permettraient de suivre des trajectoires ou des itinéraires de lecture ou de non lecture. Il faudrait de nouvelles syntheses faisant le point des connaissances actuelles sur l'acte de lecture, etc.

Les recherches s'orientent actuellement autour de quatre poles:

Un rapport présenté au Conseil de l'Europe en décembre 1989 (par J. LEENHARDT et le Groupe de Sociologie de la littérature) sur la réception d'un message littéraire et ses effets esthétiques pose le probleme de l'existence européen étudié dans quatre pays.

Une autre recherche concernant l'espace culturel européen et englobant les pratiques culturelles est engagée.